CHAPITRE XII
Contractions douloureuses ou spasmes de fureur, plaintes lamentables ou hurlements de rage, la Lune manifestait une fois de plus sa vitalité, cette vitalité que tant de savants avaient niée depuis des siècles.
Koonti, qui décidément était en communion avec l’astre depuis qu’il l’avait si intimement compris, avait pressenti ce nouveau séisme. Tout de suite il avait averti ses compagnons et tenté de pallier les conséquences d’une résurgence de catastrophes qui ne pouvaient que s’avérer funestes.
Mais où fuir ? Où se réfugier ? N’était-on pas perdu dans ce labyrinthe souterrain qui devait se trouver sous le massif Hercynien, vraisemblablement encore dans la contrée où ils avaient abordé lors du naufrage du Sygnos ?
Koonti, se fiant toujours à cet instinct dynamisé, magnifié, en lequel il avait une absolue confiance, entraîna les deux couples qui n’hésitèrent pas à le suivre sans rien demander. Il réussit à les mener jusqu’au centre approximatif d’une grotte assez vaste qu’il avait détectée médiumniquement. Chose curieuse, Koonti percevait nettement les mouvements lunaires et sublunaires, et il avait le sentiment que la Lune ne s’acharnait pas sur lui ni sur ceux qu’il avait maintenant à charge de sauvegarder. Non ! La planète était perturbée par d’autres présences, par d’autres éléments que le sourcier ne parvenait pas à définir.
Si bien que, les ayant amenés sous cette voûte qu’ils devinaient élevée, ne parvenant guère à percer l’obscurité ambiante avec leurs trop faibles lampes, le guide pensa qu’ils étaient à l’abri, tout au moins de façon relative.
Cependant, la situation était terriblement instable.
Autour d’eux, tout vacillait, tout tressautait. Des pierres, voire d’énormes quartiers de rocs se détachaient et croulaient avec un bruit de tonnerre. Ils apercevaient vaguement de nombreuses entrées de galeries, soit des orifices donnant sur des cavernes voisines, soit des trous s’ouvrant sur des gouffres que la pensée n’osait sonder. À plusieurs reprises ils furent précipités au sol et finirent par demeurer là, s’agrippant les uns aux autres, horriblement secoués, brutalisés par le contact de ce terrain rude qui frissonnait en permanence. Et dans ce contact, tous avaient maintenant presque autant que Koonti la sensation d’une présence, d’un être vivant, tant la Lune frémissante leur communiquait ses frissons intimes.
Et puis des lueurs apparurent. Une fois encore il s’agissait de lucioles fugaces, dont les reflets se répercutaient bizarrement comme sur un jeu de miroirs.
Et des voix leur parvenaient, multipliées par les échos, ponctuées par les grondements consécutifs aux formidables secousses géologiques. Incontestablement il y avait dans les parages des vivants, des humains. Des gens qui étaient porteurs de sources de clarté autres que leurs ridicules petites lampes de couteaux, et qui se hélaient, s’appelaient, criaient peut-être au secours dans ce chaos contre lequel nulle puissance ne pouvait plus rien.
Fathia et Lynn, toujours fermes dans l’adversité, ne se plaignaient pas. Elles tenaient bon, maintenues par Mourad, Koonti et Cyrille. Tous les cinq s’épaulaient mutuellement mais ils se sentaient parfois glisser, étaient déportés avec violence, se retrouvaient à plusieurs dizaines de mètres du point où ils avaient tenté de se stabiliser. Ils voyaient vaguement dans un décor hallucinant, dansant une sarabande fantastique, ces flammes incompréhensibles. Ils entendaient toujours des cris furieux ou douloureux, des ordres et des gémissements sans parvenir à en saisir les mots exacts tant tout cela se perdait dans l’infernal vacarme du séisme qui dominait tout.
Koonti pensait que la position devenait dangereuse et cherchait vainement à clarifier ses pensées. Mais s’évader psychiquement dans un pareil désordre est chose impossible, ce qui est bien connu de tous ceux qui pratiquent le travail mental et qui pour ce faire ont besoin de calme, de silence.
Le sourcier, cependant, estimait qu’il devait « faire quelque chose ». Il tentait d’apercevoir quelque échappée favorable. La voûte croulant de plus en plus et les éclats de pierre et de terre rejaillissant sur eux, il se désespérait.
Un grand souffle d’amour montait en lui envers ces quatre jeunes êtres dont il se sentait responsable. Rejetant toute recherche occulte et se fiant seulement à une impression d’ailleurs fort discutable, il se leva soudain, titubant sur ce sol qui ne cessait de frémir, leur cria de le suivre et les entraîna presque au hasard vers un orifice qu’il venait de détecter devant lui.
Pourquoi là et non ailleurs, les ouvertures ne manquant pas autour de la grotte ? Koonti eut été bien incapable de le dire. Il courait, tirant Lynn qui tenait la main de Cyrille lequel agrippait Fathia qui était de plus soutenue par Mourad.
Chaîne humaine, ils franchirent un passage ténébreux au moment où derrière eux le sol se fissurait et s’ouvrait d’un seul coup. Trente secondes de plus et ils étaient engloutis tous les cinq.
Ils se retrouvèrent dans une galerie dont on ne savait quel était l’aboutissement. Et des lueurs autour d’eux, et des cris et maintenant des ombres qui jaillissaient de toute part. Des formes indécises mais vaguement d’apparence humaine projetées par les clartés et dont une contexture particulière du terrain aux parois bizarrement polies multipliait la vision. Et eux cinq qui continuaient à progresser sans se lâcher mutuellement, fortement secoués, chancelant et tombant, se relevant pour tituber et tomber encore, se soulevant les uns les autres ou s’entraînant dans les chutes, avaient l’étrange impression qu’ils se trouvaient tributaires de ces ombres mystérieuses, que des créatures impalpables saisies également dans les fureurs sélénites les emportaient en un carrousel fou à travers des décors démentiels.
Et puis cela cessa. La Lune s’apaisait, se taisait…
Les cinq haletaient. Ils ruisselaient de sueur encore que la température demeurât assez bénigne. Ils étaient maculés de terre et de poussière, ils avaient reçu de nombreux coups, ils saignaient, ils reniflaient machinalement, ils avaient peine à retrouver quelque sens rationnel.
Ils furent un bon moment à se reconnaître eux-mêmes, encore que leurs mutuelles présences fussent d’un grand secours. Un isolé eût été beaucoup plus traumatisé. Ils recommencèrent à deviser, à échanger des propos, à vivre.
Ils cherchèrent à juxtaposer leurs impressions. Incontestablement ils n’étaient pas seuls dans ces gouffres sublunaires. Et il n’était plus question d’imaginer simplement Flaw et Wallbar. Un nombre important d’individus existaient avec eux dans le dédale. La perception avait été aisée en raison de la répercussion des sons des voix. Quant aux lueurs elles se trouvaient favorisées par un minerai analogue au gypse qui, en myriades de facettes, voire en plaques d’assez vastes surfaces garnissait les parois et aussi les voûtes des galeries où ils s’étaient engagés.
Ils durent prendre un peu de repos. Puis Koonti donna de nouveau le signal du départ. Il assurait qu’on allait enfin trouver un lieu convenable pour camper et se préparer à prendre de nouvelles initiatives.
Cette fois, ce ne fut pas très long. Ils marchèrent une demi-heure environ et plus que jamais avaient la certitude qu’ils s’enfonçaient, ce qui n’était pas sans inquiéter Cyrille Wagner.
Il en fit la remarque à Koonti.
— Fais-moi confiance, dit le sourcier. Nous avons de l’air, n’est-ce pas ? Et nous avons été protégés jusqu’à présent… Toutes les normes sont bouleversées puisque cet astre devient – ou redevient – vivant. Nous ne tarderons pas à avoir du nouveau…
Cyrille se tut. Et fit bien. Car peu après ils débouchaient dans une sorte de rotonde immense, très profonde et dont la voûte leur apparaissait capricieusement découpée en une surprenante dentelle minérale que leurs lampes caressaient par places.
Il n’y eut qu’un cri :
— Des stalactites !
Et Koonti, posément, prononça sur un ton de triomphe :
— Ce qui prouve qu’il y a de l’eau… Nous sommes SOUS une nappe, ou tout au moins un terrain extrêmement humidifié.
Cette féerie souterraine, qu’ils voyaient mal, les enchantait cependant. Ils eussent volontiers poursuivi la quête, cette fois en tentant de remonter, mais ils étaient épuisés et on décida une halte sérieuse. On se restaura, puis on prit quelque repos, non sans que les trois hommes aménageassent un tour de veille. Savait-on quels étaient les autres hôtes du sein sublunaire ?